Une traversée de l'Europe en 24h.
Il a fallu rouler pendant 28h en continu pour enfin aborder la banlieue de Lviv plongée dans le noir. Combattre le sommeil et rester stoïque face à une douanière suspicieuse du motif de notre entrée sur le territoire Ukrainien. Arpenter à vive allure les routes sinueuses et parfois piégées de nids-de-poule d’une Ukraine sous couvre-feu. Ce départ d’Annecy, au soir du vendredi 27 janvier 2023, signe l’accomplissement de 7 mois de travail, pour assembler et livrer les 1000 premiers kits de secours individuels à Moto Help, Lviv.
Le “convoi”, ce sont deux vans, 7 volontaires (parmi eux 2 ukrainiennes installées en France) et 2 déplacées qui rentrent dans leur pays. 500 kits de secours et quelques dizaines de vêtements chauds de la “collecte montagne” Grenobloise. Ces 7 volontaires, ce sont trois entités : L’ONG Guides Sans Frontières, L’association Lyon-Ukraine et le collectif Annecy Solidarité Ukraine. Des organismes réunis par différents moyens mais dans le même but : combattre le marasme d’une situation de guerre et venir en aide aux Ukrainiens.
Livraison des premiers 500 kits.
Le premier rendez-vous se déroule dans un centre de vacances pour enfants reconverti en hub médical, auprès de soignants, membres depuis le début de la guerre, du bataillon des volontaires médicaux. L’accueil est très bon, les kits IFAK sont de qualité, les retouches sont mineures et liées à la connaissance et l’expérience du terrain d’Andrii, et Marta, dentistes et volontaires chez Moto Help depuis 2014 (devenu depuis le "Lviv médical volunteer bataillon"). Hanna est volontaire formée aux premiers secours tactiques de haut niveau. Tous ont connu le front, ont formé des civils et des militaires, ont géré des stocks et du matériel médical. Ils savent que les gants bleus permettront plus facilement de repérer des saignements… Que les compresses n’auront pas d’utilité pour les soldats en première ligne mais seront essentielles pour les médic de deuxième et troisième ligne… Ils savent aussi qu’un deuxième pack de mèche plate compressée (type Combat Gauze) sera très utile pour la prise en charge des plaies par balle…
Les échanges sont formateurs et les notes sont prises, les 1500 prochains kits livrés seront adaptés et les premiers livrés seront vite en dotation. Au soir de ces premiers échanges, c’est un succès pour l’action initiée et menée à bien par Annecy Solidarité Ukraine.
Pourquoi Moto Help ?
Moto help est le principal contact en Ukraine pour la réception des kits de premier secours assemblés par les Annéciens. Organisme initialement tourné vers la formation aux premiers secours à la population, constitué de bikers ukrainiens, ses membres se sont engagés très rapidement dès le début de la guerre.
Motohelp ce sont plusieurs antennes partout en Ukraine. En janvier 2023, l'antenne de Lviv compte 25 membres et parmi eux beaucoup de soignants. L'organisation forme les civils et les militaires. Ses instructeurs suivent régulièrement des formations aux premiers secours tactiques en Pologne et dans le reste de l'Europe, assurant qualité et adaptation des gestes au contexte de guerre. Motohelp ce sont aussi des soignants qui s'engagent au plus près du front dans les différents hôpitaux de campagne. L'organisation a notamment un projet d’aménagement d’un camion en hôpital mobile pour pouvoir déplacer le centre de soins en fonction des points chauds sur le front et ainsi permettre une prise en charge médico-chirurgicale d’urgence des soldats blessés au combat et de ceux qui reviennent de captivité. Ce projet nécessite l’acquisition et la gestion d'équipements biomédicaux précis.
Motohelp devient donc propriétaire des kits de premiers secours constitués grâce aux dons recueillis par le collectif Annecy-Solidarité-Ukraine. L'organisation assure transparence et suivi de la bonne distribution des kits aux plus près des besoins sur le terrain.
Le lendemain, le groupe quitte Lviv toujours coupée d’électricité. Le trafic routier s’est relativement bien accommodé de l’absence de feux de circulation et les différentes barricades et points fortifiés laissent passer les véhicules sans contrôles particuliers.
L’équipée reprend la route vers le sud-est, direction Tourka, petite ville au milieu des Carpates.
Là encore, l’accueil est chaleureux malgré la guerre sourde et présente, le maire doit s’excuser pour aller rendre hommage à un jeune de la commune tombé au front il y a quelques jours… Dans cette bourgade blottie entre les collines blanchies par la neige, l’aide humanitaire a été peu présente malgré la présence à ce jour de plus de 400 déplacés ukrainiens de l’est. Certains dans des conditions physiques et psychologiques compliquées, nécessitant une prise en charge spécialisée. Les stocks de vêtements d’été ne sont malheureusement plus très utiles et l’entrepôt alimentaire n’est pas très rempli. Juliette, représentante de L’ONG Guides Sans Frontières pressent ainsi le rôle à jouer pour son organisation dans les mois à venir.
Les collectes Montagnes initiées par le Club Alpin Français d’Annecy, acteur du collectif Annecy Solidarité Ukraine, ont été menées en étroite collaboration avec Guides Sans Frontières. Ce sont ce sont près de 6000 tenues de ski provenant de toutes les stations de l’arc alpin.
Le maire de cette commune fièrement rattachée à l'indépendance Ukrainienne a déjà été blessé à de plusieurs reprises, au front et sur la place Maidan en 2014. Oleg Hryshkanytch, assistant du maire, montre la photo de son fils, engagé dans les tranchées à l'est de l'Ukraine.
Un toit.
Le bâtiment, austère et sérieux de prime abord, accueille plusieurs dizaines de déplacés, enfants et personnes âgées. Au milieu des rires curieux des jeunes résonnent les paroles des plus anciens qui ont dû quitter leur foyer à la hâte avec un simple sac à dos. Dans les territoires occupés, la délation menace la sécurité de familles dont les fils sont au front. La fuite est la seule alternative et ceux qui sont restés ne donnent parfois plus de nouvelles. Zaporijia, Irpin, Donetsk, Bakhmout... Les foyers perdus de l'est.
L'hôpital de Tourka
Semenkiv Vitalii Victorovytch, chef de service, accueille et guide le groupe au travers des étages et services. Le matériel est ancien, fonctionnel mais usé comme ces matelas et ces lits d’un autre temps, parfois en panne faute de pièces de rechange comme ce respirateur… Peu de patients, l’essentiel de la visite consistant à l’identification des besoins matériels. Ici l'électricité ne fonctionne parfois que grâce aux groupes électrogènes et les ambulances modernes côtoient des antiquités de l’ère soviétique.
Hôpital militaire de Trouskavets
Au terme de cette visite, nouveau départ sur une route mauvaise et tortilleuse, vers le nord, en direction d’Ivano-Frankivsk où les français passeront la nuit. A mi-chemin, après 1h30 sous le grésil et le verglas ukrainien, le convoi stoppe dans le centre thermal de Truskavets, reconverti en hôpital militaire. Kouts Mykhailo, anesthésiste militaire, accueille et guide le groupe. La fatigue se lit sur son visage au terme de cette journée où il confie avoir mené à bien 6 opérations. Il montre une partie de son service et raconte les conditions dans lesquelles il travaille, l’impuissance à soulager les douleurs des membres fantômes liées aux amputations nombreuses... Possible seulement grâce à des médicaments qu’il n’a pas...
Il raconte aussi l’importance du soutien de l’ouest et la solidarité des peuples européens, la force de la résistance ukrainienne et appelle au soutien international de ses pairs notamment en terme d’échanges de pratiques…
Une ville plongée dans le noir.
C’est tard dans la nuit que le convoi rejoint le centre d’Ivano-Frankivsk, une ville de 230.000 habitants plongée dans le noir complet, vide de circulation. Les volontaires évitent les barricades de sac de sable dans l’entrée de l’université où ils logeront cette nuit-là et rejoignent leurs lits, mis à disposition par la chambre de commerce et d'industrie locale.
Délégation Franco-Ukrainienne.
Au lever du jour, c'est une nouvelle ville d’Ivano-Frankivsk, grouillante de vie et d'agitation coordonnée malgré l'absence de feux de signalisation, faute d'électricité. Les volontaires retrouvent leurs contacts depuis le début de la guerre, ceux à qui sont destinés les camions d’aide humanitaire. Andrii, directeur de la CCI locale. Vlodimir, directeur de l’entrepôt reconverti en hub d’aide humanitaire depuis l’invasion du 24 février… Andrii, coordinateur des différents acteurs locaux.. Ils rencontrent également le maire d’IF, dans une mairie reconvertie en forteresse, protégée de sacs de sable et de soldats, puis une paroisse locale, bijou architectural et nouveau foyer pour 300 enfants déplacés. Ils participent à une interview pour une chaîne de TV locale sous les sirènes aériennes et finiront par voir le hub logistique.
Rencontre avec le Secours Ukrainien
Une rencontre est organisée avec les hommes du Дснс українська (Service d’urgence de l’état).
Un semi-remorque en provenance de France. Accolé au hangar, se trouve déjà le semi-remorque affrété par Grenoble, Lyon et Annecy et rempli de matériel médical et humanitaire. Ici se trouve Slava, le chauffeur du camion qui quelques jours plus tôt était en France pour charger l’aide des villes françaises, et les volontaires l'aident à présent au déchargement des dons et du matériel. Dans cette remorque, ce sont les 500 kits de premiers secours restants et les 5500 tenues hivernales à destination des populations civiles qui attendent. Les contacts sont bien vite prévenus et pourront venir charger les matériel pour les acheminer au plus près des besoins.
Au terme tardif de cette journée, et à l’issue d’un repas merveilleux dans un endroit désert, une dernière nuit dans cette ville d’Ivano redevenue sombre et muette.
Vyjnytsia
Au matin du mercredi 1er février, le groupe reprend la route pour le sud-est afin de rallier la ville de Vyjnytsia. L’ONG Guides Sans Frontières a pour mission principale de venir en aide aux peuples de montagnes, et cette ville encaissée au milieu des Carpates pourrait potentiellement avoir des besoins. Dans les faits, cet endroit magnifique a connu un afflux massif de déplacés au début du conflit mais la situation s'est à présent stabilisée. 2000 personnes habitent toujours la région mais les besoins s’avèrent à première vue moins immédiats que Tourka.
L’accueil y est à nouveau extrêmement chaleureux, les volontaires français découvrent un cinéma reconverti en entrepôt de vêtements, des abris anti-aériens, des infrastructures diverses reconverties dans cet état de guerre comme ce gymnase aux fondations "bunkerisées".. C’est dans la maternité locale que les matériels apparaissent à nouveau anciens: une table obstétricale d’un autre temps ou des bouteilles d’eau reconverties en humidificateur d’oxygène… Les personnels se sont adaptés avec beaucoup d’ingéniosité aux divers manques mais une aide extérieure serait très bien reçue.
Résilience & reconstruction
Au terme d’une dizaine de minutes de route, le groupe arrive en bordure d’un bâtiment austère aux abords d’un terrain vague. C’est un centre d’accueil pour des déplacés qui accueille déjà des dizaines de familles venant de l’est du pays. L’intérieur, neuf et bien aménagé contraste étonnement avec la vétusté de l’extérieur. A noter également, la présence de plusieurs industries délocalisées. Luminaires design et artisanat, l’économie ukrainienne s’est adaptée au conflit en se déplaçant à l’ouest tout en continuant son activité.
C’est sur cet axe de développement économique que se déroule le rendez-vous avec le maire local le lendemain. Guides Sans Frontières, fort d’un réseau de professionnels de la montagne, y voit un potentiel d’échanges et de développement économique. Une équipe d’une dizaine de guides, équipeurs en escalade, canyoning et activités outdoor diverses pourrait potentiellement rencontrer les acteurs ukrainiens locaux pour des projets et des partenariats à plus ou moins long terme.
Retour à Lviv et livraison des derniers kits de secours.
Le soleil et un redoux relatif ont fait leur apparition quand le véhicule français reprend la route de Lviv. Un arrêt par Ivano-Frankivsk, afin de charger les 500 derniers kits arrivés par semi-remorque pour les livrer à Moto Help, Lviv, le soir même. L'occasion de saluer une dernière fois Andrii de la CCI d'Ivano et récupérer des lettres de remerciement de la mairie à destination des élus Français.
Témoignage.
“Le 24 février 2022,” raconte Andrii, “tout le monde était sous le choc. Je n’ai eu que quelques heures pour préparer la voiture pour ma femme et mes trois enfants, après avoir visionné les images surréelles de ces chars traversant la frontière, aux portes de Kiev. 10… 20… 30… Les russes avaient pris d'assaut l'aéroport d'Hostomel aux portes de Kiev, précédés des premiers bombardements. À ce moment précis, personne ne savait si l’Ukraine existerait encore la semaine d’après, nous étions sous le choc...
Une semaine après, nous savions que l'Ukraine allait survivre… “
Le lendemain, le groupe de volontaires reprend la route depuis Lviv, direction la France. L’esprit encore tourné vers une Ukraine en guerre. Un nouveau voyage de 25 heures de route le long de cette autoroute traversant une Europe si proche.
Equipe
Marta D (non prise en photos), Ukrainienne responsable de l'Association Lyon-Ukraine, de l'envoi de centaines de tonnes de dons et de l'équipement d'un hôpital complet en Ukraine.
Kateryna (non prise en photo), Ukrainienne installée en France depuis 17 ans. Volontaire et formée aux premiers secours tactiques, propriétaire d'un des véhicules.
Andrii, Andrii, Vlodimir, Marta, Hanna, Andrii et tous les contacts Ukrainiens.
L'équipe de l'ONG Guides Sans Frontières basée à Grenoble. L'équipe de l'association Lyon-Ukraine basée à Lyon. L'équipe du collectif Annecy-Solidarité-Ukraine basée à Annecy.. Les partenaires et donateurs, aux citoyens Français pour leur soutien et aux politiques pour leur accompagnement.
Slava Ukraini.